Rollot et ses hameaux par Maxime de Sars
Chapitre 8 : La révolution à Rollot

Élections des États Généraux

Le souffle impétueux qui devait bouleverser l’Europe et pousser des millions d’hommes à s’entre déchirer animait d’une brise à peine perceptible les paisibles assemblées paroissiales qui furent tenues simultanément dans toute la France, au début du mois de mars l789. Pour obéir aux ordres des lettres patentes royales et à l’ordonnance du bailli d’épée du gouvernement, le marquis de Feuquières, les hommes âgés de vingt-cinq ans au moins et portés, aux rôles des impositions se réunissaient sous la présidence du lieutenant de la justice et rédigeaient leurs cahiers de doléances ; puis ils les remettaient à des députés qui devenaient leurs mandataires. Les 298 feux de Rollot et de ses hameaux leur donnaient droit à trois représentants, le choix de l’assemblée populaire tomba sur Jean François Pavin, Pierre Éloi de Bourge et le chirurgien Jean François Duquesnel.

Les élections du tiers état se faisaient à deux ou même souvent à trois degrés. Les mandataires des cent cinquante trois paroisses du bailliage de Montdidier se réunirent le 23 mars, dans la salle d’audience de la justice royale, sous la présidence du lieutenant particulier Boulanger. Après avoir confié à quinze commissaires le soin de fondre en un seul cahier les doléances locales, ils choisirent de quart d’entre eux pour prendre part à l’assemblée plénière de Péronne, seul des Rollotois, Pavin figura au nombre des quatre-vingt-huit élus.

Les trois ordres du gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye remplirent, le lundi 30 mars, dès le matin, le vaisseau de la collégiale Saint Fursy. L’église des Minimes fut désignée au tiers pour ses réunions particulières, au nombre de trois, la dernière tenue le 4 avril. Noblesse et tiers s’entendirent pour réclamer des réformes hardies, que deux députés acceptèrent de soutenir « aux pieds du trône ». Deux suppléants leur étaient adjoints 1’un deux, Antoine Marie Rodolfe Liénart, avocat à Montdidier et fils d’un conseiller en l’élection de cette ville, où il était né en 1748, appartenait à une famille de cultivateurs qui avaient exploité pendant deux générations la ferme de Saint Corneille à la Villette ; il devait être admis à siéger le 11 décembre, en remplacement de Pincepré de Buire, démissionnaire et voter avec la gauche.

Les membres des deux ordres privilégiés, bien moins nombreux, élisaient directement leurs représentants aux états. Les nobles, réunis dans l’auditoire du bailliage de Péronne, choisirent le duc de Mailly pour président et ensuite pour député, conjointement avec le célèbre Alexandre de Lameth, qui siégera au côté gauche de la salle du Manège. Le duc de Villequier assista aux assemblées de Péronne, à cause de son marquisat à Piennes, et Palisot de Warluzel, seigneur de Regibaye, s’y fit représenter par d’Ainval du Fretoy. Le duc de Liancourt, marquis de Maignelay, ne paraît pas avoir répondu à la convocation qu’un huissier avait dû remettre à son fermier ; ses pairs l’avaient déjà nommé, le 13 mars député du bailliage de Clermont en Beauvaisis. Quant au duc de Villequier, il représentera aux états généraux la noblesse du Boulonnais.

Le clergé, demeuré seul sous les voûtes de saint Fursy éleva à la présidence l’abbé régulier de Vaucelles. Pierre François Péchon, curé de la Villette et Rollot, avait confié son pouvoir à son confrère de Beaucourt, Antoine Joseph le Blanc. L’un des deux députés du premier ordre, l’abbé Maury, prieur de Lihons, orateur fougueux, devait se heurter bien souvent à Lameth et à ses amis en défendant une cause qui lui apparaissait sacrée. (l).

Premières émeutes

Les députés des trois ordres partirent pour Versailles, où les États s’ouvrirent en grande pompe le 5 mai une des innombrables spectatrices qui se pressaient sur les pas de la procession ou dans la salle des Menus plaisirs, Mme de Laâge, notait surtout le détail qui l’avait le plus frappée : « Le duc de Villequier, assis sur un carreau aux pieds du roi, en posture de magot, en avait tout à fait l’air ».

Bientôt brochures, journaux, correspondance répandaient à travers les provinces la nouvelle des émeutes parisiennes, la chute de la Bastille, l’abolition de la féodalité et le retour tumultueux de la famille royale dans la capitale. Chaque jour apportait une nouvelle destruction ou une réforme. C’est le duc de Liancourt qui répondit, le 12 juillet, à Louis XVI qui s’effrayait de voir l’agitation populaire se muer en révolte : « Non sire, répliqua t-il gravement, c’est une révolution ! ». Les partisans les plus décidés d’un bouleversement s’étonnèrent de voir à la tête des bandes débraillées qui marchaient sur Versailles, lors des journées d’octobre, le frère aîné du duc de Villequier, le duc d’Aumont, « bossu, bancroche », commandant une des divisions de la garde nationale parisienne, inféodé à la faction d’Orléans, il était un des fondateurs du futur club des jacobins.

Deux mauvaises récoltes consécutives avaient entraîné une disette de grains et on ne comptait plus les émeutes qui ensanglantaient les villes et les campagnes. Les municipalités urbaines réquisitionnaient les stocks de blé que leurs agents pouvaient découvrir, les paysans craignant à leur tour la famine, s’opposaient souvent par la force au départ des convois ou arrêtaient ceux qui passaient sur les routes. C’était le temps de la « grande peur », où courait, venant on ne sait d’où, le bruit de l’arrivée de bandes imaginaires de brigands. Dans la journée du 15 août 1789, les bourgeois aperçurent avec émotion des colonnes de fumée à l’horizon, puis ils entendirent des coups de feu ; c’était la milice bourgeoise de Rollot, organisée tout récemment en vue du maintien de l’ordre, qui accourait au secours d’incendiés et tiraillait dans le but d’éloigner les fameux brigands (2). La peur se propageait plus vite que les nouvelles.

Nouvelle organisation administrative

On souhaitait la venue d’un nouvel ordre administratif qui vint rétablir le calme en donnant aux autorités locales la force de l’imposer. Une des premières réformes adoptées par les États, transformés en assemblée constituante, après la déclaration des droits de l’homme, fut de partager la France en « 80 grandes parties qui porteraient les noms de départements, chaque département de 324 lieues carrées ». La nature s’opposant à ce découpage arbitraire en échiquier, il fallut se contenter d’une égalité approximative et prendre pour base les anciennes généralités que l’on réduisait arbitrairement. Amputé du Vermandois et du Boulonnais, l’intendance d’Amiens devenait le département de la Somme, avec cinq districts qui rappelaient le souvenir des élections supprimées, mais, pour ne citer que cet exemple, une grande partie de l’élection de Montdidier était attribuée au département de l’Oise. Le district qui portait le nom de cette ville groupait neuf cantons, Montdidier, Roye, Ailly-sur-Noye, Aubvillers, Hangest, Moreuil, Harbonnières, Rosières et Rethonvillers. Il y en eut pendant quelques mois un dixième, celui de Laboissière, quinze communes le formait : Boiteaux, Bus, Dancourt, Fescamps, Grivillers, Guerbigny, Laboissière, La Villette, Regibaye et Rollot, Marquivillers, Onvillers, Popincourt, Remaugies, Tilloloy et Warsy. Dès le mois de septembre 1790, un projet proposait de supprimer le district de Doullens et de rattacher une partie de Montdidier à l’Oise en donnant le reste à Péronne. On se contenta de faire disparaître le canton de Laboissière, dont les communes furent réparties entre trois circonscriptions voisines. Le canton de Montdidier comprit dès lors Ayencourt et le Monchel, Assainvillers Becquigny, Boussicourt, Cantigny, Courtemanche, Ételfay, Faverolles, Fescamps, Fignières, Fontaine, Laboissière et Boiteaux, La Villette, Regibaye et Rollot, le Cardonnois, le-Mesnil-Saint-Georges, Lignières, Marquivillers, « Mesvillers dit Piennes », Montdidier, Onvillers, Remaugies, Saint-Martin-de-Pas et Rubescourt.

La paroisse rurale était devenue une commune et les hommes de la Villette, de Regibaye et de Rollot, âgés de 25 ans et payant au moins un chiffre d’impôts égal à trois jours de travail, sans être domestique, dénommés citoyens actifs, - avaient élu, dans les premiers jours de 1790, un maire, 2 officiers municipaux, 6 notables formant avec les premiers le conseil général, enfin un procureur, chargé de veiller à l’application des lois et au respect des intérêts publics. les impositions de chacun de ces élus devaient atteindre au moins la valeur de 10 journées de travail.

La municipalité était renouvelée chaque année par moitié, au cours du mois de novembre, et pour la première fois à l’automne même de 1790, en tirant au sort les sortants. Après cette modification partielle, Rollot se trouva administré par le maire Dhallu, les officiers municipaux Duquesnel et Clin, Debourge procureur de la commune, Paillet, Harmant, Denel, Delatre, Choisy et Normand, notables et Alexandre le Grand continuait à remplir les fonctions de secrétaire.

Un des premiers devoirs de la nouvelle administration locale fut d’établir le rôle d’impositions « des ci-devant privilégiés » pour les 6 derniers mois de 1789. Il ne contient par moins de 39 articles, donnant un total de 1 413 livres 13 sols. Les principales cotes sont celles de M. de Liancourt (569 l. 17 s. 6 d. pour un revenu de 2 109 livres), des bénédictins de Compiègne (219 l. 9 s. 9 d. pour 790 livres), Palipot de Regibaye (158 l. 17 s. 9 d. pour 587 l. 16 s.) M. d’Aumont (108 l. 18 s. pour 402 l. 19 s.), les chanoines de Rollot (101 l. 6 s. 6 d. pour 374 l. 16 s.). Pour la première fois tous les français furent également imposés en 1790. La quote-part de Rollot s’élevant à 2 591 livres, au lieu de 2 729 livres l’année précédente, la charge des anciens taillables se trouva allégée d’un tiers (3).

Fidèles aux usages de l’ancien régime, les constitutions révolutionnaires ne comprenaient pas l’élection comme un simple vote, qui aurait rendu nécessaire des candidatures et des campagnes électorales dont elles se défiaient. C’était aux diverses assemblées de choisir ceux qui paraissaient dignes de leurs préférences sans qu’ils aient à se proposer.

Chaque année, au printemps, les citoyens actifs de tout le canton se réunissaient en assemblée primaire au chef lieu et « élisaient », au cours de plusieurs séances qu’allongeaient d’interminables discours et de méticuleuses formalités, un certain nombre d’électeurs proportionné à celui des inscrits, soit huit à Laboissière, en raison de ses 658 citoyens. La première de ces assemblées demanda 3 jours les 7, 8 et 9 juin 1790. Albert François Palisot arriva en tête de liste avec 469 voix et en queue, Pierre de Bourge, marchand de moutons à Rollot, en obtint 338.

Les électeurs, dont le chiffre d’imposition devait au moins égaler 10 journées de travail, étaient ensuite convoqués en assemblée de district pour nommer les administrateurs de cette circonscription, les juges de première instance, les curés, les maîtres de postes, et en assemblée de département afin d’élire les administrateurs de la Somme, les députés à l’assemblée législative.

L’assemblée primaire ne choisissait directement que le juge de paix et ses assesseurs, à raison de quatre par commune. L’ancien seigneur de Regibaye, Palisot de Warluzel, fut élu coup sur coup, en 1790, juge de paix du canton de Montdidier, électeur de celui de Laboissière et administrateur du district, 56 voix l’appelèrent à cette dernière fonction, le 24 juillet, deuxième sur une liste de douze. Comme on voit, les citoyens actifs étaient peu nombreux à se déranger. Les administrateurs du district se réunirent dès le 26 juillet et désignèrent cinq d’entre eux pour former le Directoire, chargé d’exécuter les décisions prises par le conseil (4).

Un mois après la fameuse nuit du 4 août, Louis XVI s’était décidé à sanctionner les décrets par lesquels l’assemblée avait jeté à bas la façade qui maintenait encore le décor du régime féodal parmi les droits seigneuriaux, ceux qui tenaient à la main morte belle ou personnelle, comme les justices, les chasses, les corvées, les tailles, la plupart des banalités, les péages, les droits de bourgeoisie, de hellage, etc. étaient abolis sans indemnité. Par contre, les cens et rentes, les champarts, les lods et ventes, les droits d’échange et quelques banalités pouvaient être rachetés à un taux ultérieurement fixé : au denier vingt-cinq pour les redevances en nature et denier vingt pour celles payables en argent. Quelques bourgeois libérèrent ainsi leurs terres, mais la charge était lourde pour les classes pauvres et aucun paysan ne paraît avoir profité des impositions de la loi.

Un autre décret, promulgué le 6 mars 1790, interdit « toutes les distinctions honorifiques, supériorités et puissance résultant du régime féodal », les fois et hommages, les dénombrements, les plaids généraux. Le 13 avril 1791, il sera ordonné aux anciens seigneurs de faire retirer dans un délai de deux mois leur banc seigneurial de l’église, d’y effacer les litres peintes à leurs armes, de démolir les fourches patibulaires et les piloris.

Suppression de la féodalité : vente des biens de première origine

Pressée de parer au déficit du trésor qui avait été la cause déterminante de sa convocation, l’assemblée se laissa entraîner à confisquer tous les biens du clergé, à la charge pour la nation « de pourvoir d’une manière convenable aux frais du cul l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ». Bientôt 400 millions de biens nationaux étaient offerts en vente et des assignats en nombre égal entraient en circulation. Les vœux monastiques étaient abolis et toutes les congrégations supprimées.

L’administration du district était chargé des ventes. Elle se contentait dans ce but de faire afficher les domaines tels qu’ils étaient loués, sans chercher à favoriser les amateurs modestes. Il n’y avait du reste à Rollot qu’un domaine important, la ferme de Saint Corneille, dont Pierre le Comte se rendit acquéreur le 2 mars 1791. Pour les autres, les habitants en se coalisant arrivèrent à s’emparer des petites parcelles qu’ils convoitaient ; un marché de 31 mines, provenant du chapitre, fut positivement déchiqueté en 31 lots d’importance très variable, allant de « un deux cent vingt neuvième » à « vingt deux cent vingt neuvième ».

Les historiens varient d’opinion, depuis 150 ans, sur les conséquences économiques et sociales de cette formidable mutation de propriété. Il est dangereux de distinguer entre acquéreurs de ville et amateurs ruraux, car la spéculation à joué aussi parmi ces derniers et seuls les paysans résidants recherchaient la terre pour leur usage. En ne tenant compte que des noms connus de l’administration - et bien souvent le bien passait de main en main sans qu’on connaisse le dernier bénéficiaire - voici les résultats que donne le classement des ventes de Rollot (5) :

  1. Nobles, bourgeois et marchands : 6 223 verges (30% du total et 4 immeubles bâtis (67%)
  2. Cultivateur forain : 585 verges (3%)
  3. Cultivateurs forains : 13 958 verges (67%) deux immeubles bâtis (33%)

Constitution civile du Clergé

La constitution civile du clergé, votée deux jours avant la fête de la fédération (12 juillet 1790) témoigne que l’intérêt du trésor public n’était pas la seule préoccupation de l’assemblée constituante lorsqu’elle tentait des réformes religieuses. Sans chercher un accord avec Rome, elle réduisait le nombre des diocèses et des paroisses, supprimait les chapitres, laissait au jeu des élections le soin de pourvoir aux évêchés et aux cures. Tout les bénéficiers étaient tenus de prêter serment à la constitution. Pour s’attacher le clergé rural, trop inégalement rétribué, la loi fixait la base du traitement des curés à 1 200 livres (16 000 francs de notre monnaie) augmentées de la moitié du surplus de leur revenu de 1790, lorsqu’il dépassait ce minimum, il leur assurait aussi un jardin d’au moins 50 verges, mesure royale (25 ares), à prélever, s’il était nécessaire, sur la masse des biens nationaux de la commune. La pension des chanoines était d’au moins 1 000 livres.

Si les trois prêtres qui desservaient la petite chapelle de la Madeleine caressaient l’espoir que leur médiocrité les sauverait de la ruine, ils furent bientôt détrompés. Le directoire de Montdidier enjoignit dans le courant du mois de décembre 1790 « d’après les décrets de l’assemblée nationale, aux chapitres du district, ceux de Rollot et de Roye, de n’avoir plus à s’assembler dans leur église pour faire l’office commun, de ne porter aucun signe qui tendrait à rappeler leurs dites corporations ». Quelques mois plus tard, cette administration évalua leurs biens à 325 mines de blé ou 2 071 livres 17 sols, 6 deniers, à 1 013 livres 14 sols en argent, outre 50 livres provenant des bois et 120 livres de prés, à ses yeux, les charges ne dépassaient pas 20 livres pour les réparations et 10 pour les frais du culte. Le revenu net montait ainsi à 3225 livres 11 sols 6 deniers, soit 1 065 livres 3 sols 10 deniers pour chacun des trois chanoines qui avaient rempli en 1790 les obligations imposées par les fondateurs, leur pension était fixée à 1 000 livres, plus la moitié de l’excédent, soit 1 032 livres 11 sois 11 deniers. Une autre estimation, moins bienveillante, faite en 1792, porta les charges à 155 livres 6 deniers et arrêta que la masse de 3 100 livres serait dorénavant partagée entre les 5 chanoines résidant ou non ; c’étaient Pierre de la Porte, Jean Baptiste Revel, Antoine Vaillant, Drouet vicaire de Saint Marcel de Saint Denis, et un dernier dont le nom n’était pas connu de l’administration.

Depuis 1776, la cure de la Villette était occupée par Pierre François Péchon, né le 20 octobre 1746 à Rosières. Il ne fit aucune difficulté pour prêter le serment qui lui était demandé. Le 16 janvier 1791, à l’issue de la messe chantée en l’église Saint Nicolas de Rollot, devant la municipalité et « tous les citoyens actifs et habitants dûment appelés et convoqués », il jura « d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roy ». Son traitement se trouvait fixé au minimum de 1 200 livres comme le compte de ses revenus pour 1790 n’arrivait qu’à 750 livres, le directoire du département lui expédia, le 28 juillet 1791, un mandat de 450 livres sur le trésorier du district. Un vieux chantre de soixante ans reçut de la nation une pension de 45 livres. Alexandre Prache, ancien curé, vint vivre à Rollot avec les 800 livres qui lui étaient payées, comme aux autres ecclésiastiques, fort irrégulièrement (6).

Élections à l’assemblé législative : nouvelles réformes

L’acceptation par Louis XVI de la constitution nécessita la réunion des assemblées primaires. Le 19 juin 1791, la seconde section de Montdidier, groupant les citoyens de vingt-deux paroisses « dans la ci-devant église des Capucins », sous la présidence de Palisot, forma deux bureaux pour accélérer les opérations, bien qu’il n’y eût que 328 votants sur 1161 électeurs ; Palisot fut élu premier électeur et Pierre de Bourge, marchand de moutons, le sixième et dernier (7).

L’année 1792 amena la guerre, l’invasion et la chute de la monarchie. Sans attendre la réunion de la convention dont elle avait décidé l’élection au suffrage universel, mais en excluant toujours les domestiques et en maintenant les deux degrés l’assemblée s’attaqua à des réformes qu’elle jugeait populaires. La loi du 19 août 1792 prononça la confiscation et la vente des biens de l’ordre de Malte, des couvents étrangers, des fabriques, communes, établissements hospitaliers et même des sociétés privées comme les compagnies d’arc. Une autre loi modifia l’obligation imposée en 1789 à tous les débiteurs de droits seigneuriaux de rembourser le capital pour en être déchargés. Dorénavant, le remboursement n’était dû que si l’ancien seigneur était à même de représenter les titres justifiant ses droits, ce qui était le plus souvent impossible en raison de la grande antiquité ; sinon ils devenaient caducs. La convention devait au reste l’année suivante, abolir en bloc toutes les obligations entachées de féodalité.

Le département demeurait calme « Nous n’y apercevons, constatait au mois de décembre 1792 le comité du bien public de Montdidier, aucune trace de ces secousses terribles qui marquent le réveil du peuple et le moment de sa vengeance. Dans nos villes, l’explosion fut faible, dans nos campagnes, elle fut nulle » (8).

Destruction du culte

Aussitôt réunis aux tuileries, les conventionnels avaient enlevé aux curés les registres paroissiaux et confié la tenue de l’état civil, qu’ils instituaient aux municipalités. Pechon jura devant le conseil général de la commune, le 14 octobre 1792, d’être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant. Il rédigea son dernier acte le 16 décembre suivant et remit la collection des registres depuis 1694 au nouveau maire, Castellot qui les déclara clos, le 24 février 1793, en signant avec ses officiers municipaux Harmant et Bertrand, Watelin agent national (nouveau titre du procureur) et le secrétaire Le Grand, un autre officier, le maître d’école Joseph Harlaux, accepta de recevoir les déclamions de naissance, mariage, divorce ou décès. Une loi, votée le 10 septembre 1792, prescrivait de remettre à l’administration du district, pour être envoyés à la Monnaie, les objets d’or ou d’argent qui ne seraient pas indispensables au service du culte. La fonte des cloches fut ordonnée le 29 juillet 1793, chaque commune n’en pouvait conserver qu’une pour son usage, la plus grosse cloche de saint Nicolas refondue en 1778 pesait 268 livres. Les deux églises furent sans doute fermées avant la fin de l’année, après que leur mobilier eût été inventorié et vendu aux enchères, comme bien de fabrique. Le curé se contenta de s’abstenir de toute cérémonie du culte, comme le voulait la loi, mais son vicaire, Noël Marie Picard tint à abdiquer sa « fonction de prêtre » le 6 février 1794 (18 pluviôse an II) (9).

Émigration

Tandis que son frère aîné, promu lieutenant général en 1792 sous le nom de Jacques Aumont, après avoir fait preuve de piteuses qualités militaires, se retirait tranquillement dans son château de Guiscard pour y mourir en 1799, l’ancien seigneur de Beauvoir et de la Villette avait continué à remplir ses fonctions de premier gentilhomme auprès de Louis XVI ; mais, après la journée dite des chevaliers du poignard (28 février 1791) le roi, rapporte Mme de Tourzel, craignant d’exposer la personne de ses fidèles serviteurs ordonna à MM. de Duras et de Villequier de s’éloigner. La séparation de ce dernier qui lui donnait depuis si longtemps des marques d’attachement et de fidélité lui fut extrêmement « sensible ». Le fugitif se retira à Bruxelles, puis à Munster rejoignit Louis XVIII qui le chargea du service de sa table et se retira enfin à Altona, où il devait attendre la fin de l’empire. Son fils, l’insouciant duc de Piennes, l’un des hommes les plus élégants et les plus écervelés de son siècle, donnant le ton à la cour, créateur des calèches à la Daumont avait été blessé à cette journée du 28 février. Il passa en Espagne, où il commanda un corps de volontaires jusqu’en 1797 et reçut dans un combat une superbe balafre. La Suède l’autorisa ensuite à lever le régiment de Royal Suédois, puis le régiment du roi qu’il commanda contre Mortier et Brune en 1805-1806 et contre les Russes en 1808. Admis ensuite à la petite cour d’Hartwell, il aurait si l’on en croit plusieurs auteurs, rédigé avec Louis XVIII les rapports de police que lui payait Fouché.

Ses sentiments libéraux n’avaient pas sauvé de l’exil l’ancien seigneur de Rollot. Défenseur de la constitution que la révolution du 10 août mettait à bas, le duc de Liancourt, qui venait d’être aussi promu lieutenant général essaya sans succès de maintenir dans le devoir sa division de Rouen ; un seul régiment lui obéit et il dû s’enfuir en Angleterre dès le 15 août, sans songer à rejoindre l’armée de Condé ou les cercles de Coblentz, il gagna les États-unis, où il continua pendant dix ans à se livrer à ses études d’économie politique ; il consacra une brochure à l’étude du régime pénitentiaire à Philadelphie et une autre à l’état des pauvres en Angleterre (10).

Vente des biens de seconde origine

Les lois révolutionnaires s’acharnaient contre ces émigrés dont la plupart n’avaient quitté la France que pour se soustraire à la mort. En vue de répondre aux rassemblements qui se faisaient au delà de nos frontières et aux intrigues des cabinets, la loi du 12 février 1792 avait séquestré leurs biens, et, le décret du 8 avril les avait déclarés nationaux. Enfin la convention ordonnait le 3 juin 1793 leur mise en vente. La spéculation s’y donna plus libre cours que pour les propriétés de première origine. La ferme seigneuriale de Rollot fut acquise en 1796 par un habitant d’Ostende et presque tous les bois, par une dame habitant Bains en 1798 ; seuls une petite maison et le moulin à vent échurent à des habitants.

La ferme et les bois de Beauvoir devinrent aussi la propriété de bourgeois étrangers au pays. Quand le consulat arrêta les ventes, il ne restait plus que les 664 ares du Bois de Reaulle, le décret impérial du 17 septembre 1807 en attribua la propriété aux hospices de Montdidier pour les indemniser de leurs biens qui avaient été aliénés (11).

Misères et réquisitions

Les villages éloignés des grands centres ne connurent de ces années ardentes que les restrictions et les réquisitions. Aux besoins des villes voisines et de la capitale s’ajoutait l’entretien des armées qui luttaient contre l’Europe coalisée. Après les provinces de l’Est, le Nord était envahi. La convention ordonnait la levée en masse de tous les Français, et la limitait bientôt, faute d’armement suffisant, à l’appel de tous les célibataires ou veufs, sans enfants de 18 à 25 ans.

L’enthousiasme qui avait pu soulever les premiers volontaires était bien tombé. Les pères défendaient maintenant leurs enfants ; l’ancien syndic municipal demandait la mise en réquisition de son fils à Rollot même en qualité de cultivateur, quand au fabricant de vitriol, il poursuivait le renvoi de ses deux fils compris dans la première réquisition pour les occuper à l’exploitation d’un terrain qui lui produit des cendres rouges propres à être répandues sur les prairies dont ils (sic) hâtent la végétation et plus particulièrement encore l’alun et le vitriol ou couperose (13-15 mars 1794 ou 23-25 ventôse an II). L’année suivante, la femme d’un employé aux transports militaires sera incarcérée et ne recouvrera la liberté qu’à charge de justifier que son mari a rejoint son poste.

Les réquisitions de grains incessantes ne rencontraient pas plus d’empressement. Le 3 mars 1794 (14 floréal) ordre est donné à Rollot de conduire sur le champ quatre voitures à Avesnes ; deux seulement furent chargées mais leurs conducteurs, trouvant sans doute la route trop longue, rentrèrent chez eux. La municipalité mandée aussitôt à Montdidier en vue de donner des explications ne se présenta pas. Le 10 (21 floréal) un détachement militaire se présentait chez le maire Castellot et l’emmenait en prison. Il ne fut élargi que le lendemain après que l’ordre eut été exécuté. Il y avait encore d’autres moyens d’obliger les gens à obéir. Depuis plus de six mois la réquisition générale des cuirs, prescrite par un représentant en mission, n’avait pu être réalisée. Justement, le 12 mai (23 floréal) un corroyeur de Rollot Jacques d’Hallu demande l’autorisation de prendre livraison des cuirs qu’il avait achetés à Roye, on lui répond que, devant le refus d’obéissance, on ne peut donner suite à sa pétition, et cependant cette matière première « est absolument nécessaire dans la commune de Rollot, où la moitié des individus sont presque sans souliers ».

La chute du régime terroriste, les victoires qui chassaient les derniers ennemis de notre territoire n’améliorèrent pas la situation économique du pays. Avant tout, les comités qui détenaient un pouvoir absolu entendaient nourrir Paris, dont les faubourgs demeuraient menaçants. À la date du 9 février 1795 (21 pluviôse an III), le district de Montdidier recevait l’ordre de fournir 94 000 quintaux de blé, destinés à l’alimentation de la capitale ; la part de « la Villette lès Rollot », comme notre commune continuait souvent à être appelée, atteignant 713 quintaux, sans préjudice des deux sacs qu’il fallait trouver pour le marché de Montdidier même, le « nonidi » de la nouvelle semaine de dix jours. Les paysans, inquiets à leur tour du lendemain empêchaient de partir les convois de grains. Le 29 avril (10 floréal), sur les huit ou neuf heures du soir, quelques uns pénétrèrent dans la ferme de Louis Normand et pillèrent les blés achetés pour le compte du district de Noyon. Ce premier succès leur donna l’envie de recommencer le lendemain.

On se lassait de ces réquisitions continuelles à des prix taxés d’office, où bien souvent la municipalité rurale s’avouait incapable d’y répondre : « pour arracher le peuple à la famine qui commence à se manifester, comme aussi d’assurer d’une manière invariable et sur l’approvisionnement des hospices civils, bureaux des pauvres, maisons de secours et de détention », la commune de Montdidier était autorisée, le 22 juin (4 messidor), à expédier des commissaires, appuyés par la force armée, dans les villages environnants et à se faire verser l’arrière des réquisitions échus depuis le 20 janvier (1er pluviôse) ; sur trente sacs, la Villette en devait encore plus de douze. La moisson faite, le marché du chef lieu exigeait chaque semaine un sac de blé ou de seigle et trois d’avoine (31 août ou 14 fructidor), sans du reste beaucoup plus de succès. Au marché du 19 septembre et à celui du 26, on ne put mettre en vente que sept à huit sacs, ceux du 6 et du 10 octobre durent être supprimés, faute d’approvisionnement. Des poursuites furent engagées contre divers cultivateurs. Le 17 octobre (26 vendémiaire an IV) l’administration du département ayant réparti entre ses cinq districts 2 000 000 quintaux de foin et pareille quantité de paille destinés à assurer la subsistance des chevaux de la république, la Villette s’en voit attribuer 900 de l’un et 200 de l’autre. Il était parfois des répartitions plus agréables quelques heures avant de disparaître, le district distribuait entre les cantons 3 453 livres de savon qu’il venait de recevoir, ce qui permettait à la population de renoncer, pour un temps du moins, à l’emploi d’une terre grasse alcaline, chargée de potasse et d’alumine, que l’on extrayait des cendres minérales de Rollot (12).

Municipalité cantonale

Depuis trois ans qu’elle siégeait - et quelles années ! la convention n’avait pas encore remplie sa mission. Si elle avait proclamé la république, sa dictature privait le pays d’une constitution régulière. Celle de 1793, acceptée par le peuple, était jugée trop démagogique. Avant de se séparer, les représentants qui n’avaient pas péri de mort violente au cours de sauvages luttes de partis élaborèrent un nouveau texte qui créait pour la première fois en France le régime parlementaire des deux chambres. L’œuvre administrative de 1790 était en même temps profondément modifiée. Les districts disparaissaient, tandis que les municipalités faisaient place à une administration cantonale, composée d’autant d’agents qu’il y a de communes et de leurs adjoints chargés de les suppléer. Le président en était choisi par l’assemblée primaire et les agents ou adjoints par les habitants de leur village. Le pouvoir exécutif se faisait représenter dans le canton par un commissaire du directoire, que désignait le gouvernement.

L’assemblée primaire de Montdidier appela à la présidence du canton, le 1er novembre 1795 (10 brumaire an IV), François Luglien Cauvel, ci devant procureur du roi en l’élection qui devait être remplacé en 1799 par Sellier, négociant et ancien conseiller de ville. Cinq jours plus tard, les citoyens de Rollot élurent pour agent Jean Siméon de Saint Paul et pour adjoint Nicolas Langlet. La nouvelle municipalité fut installée le 22 novembre (1er frimaire) à midi.

Le citoyen Cochepin, commissaire du Directoire exécutif, avait été appelé à ce poste par arrêté du 16 novembre (25 brumaire).

Un ancien employé au district, privé de son emploi prenait la direction des bureaux en qualité de secrétaire en chef. On lui donna d’abord 10 employés ; mais, au bout de sept mois, il apparut que la dépense s’élevait à 70 500 livres en assignats, qui ne se trouvaient pas en caisse, bien que ce chiffre élevé ne représentait que 1 850 livres en numéraire, et le département obligea le canton à se contenter de deux chefs de bureau, trois expéditionnaires et un concierge. Le budget de l’an IV (1795-1796) put ainsi ne pas dépasser 6 966 livres 13 sols 4 deniers.

Quand ces tracas financiers étaient réglés, la nouvelle administration avait à se préoccuper de l’approvisionnement du marché de la ville, qu’il était toujours aussi malaisé d’approvisionner Rollot obtint de ne plus envoyer par décade qu’un demi sac, au lieu de deux, en raison de l’importance de sa population communale.

Au lendemain du coup d’état Jacobin du 18 fructidor, le curé Péchon, qui avait repris depuis deux ans l’exercice du culte, qu’un décret de la convention rendait libre, prêta sans difficulté, le 12 septembre 1797 (26 fructidor an V), serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et de fidélité à la république et à la constitution de l’an III.

Deux ans plus tard, après la chute du régime directorial, Péchon s’en vint retrouver le même agent, le 9 février 1800 (20 pluviose an VIII) et lui promit d’être fidèle à la nouvelle constitution, conformément à un récent arrêté des consuls (13). C’était son quatrième serment politique. L’agent n’avait pas à être surpris de cette versatilité : il était prêt à oublier ses haines et ses affections pour accepter la mairie que le premier préfet de la somme allait lui offrir.

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